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L’avenir du luxe passe aussi par les marchés matures – par Rémy Oudghiri, Directeur du département Corporate et Tendances Ipsos Public Affairs

L’avenir du luxe passe aussi par les marchés matures – par Rémy Oudghiri, Directeur du département Corporate et Tendances Ipsos Public Affairs

Le fait est là, révélé par la vague 2011 de l’enquête annuelle menée sur le luxe par Ipsos Public Affairs (le World Luxury Tracking*) : malgré la crise qui sévit dans leurs pays depuis 2008, les consommateurs des pays matures (Europe, Etats-Unis, Japon) continuent d’apprécier le luxe. Mieux : la crise a même accru la valeur du luxe à leurs yeux. Ils sont plus nombreux en 2011 qu’en 2007 à considérer le luxe comme un symbole de «qualité supérieure», plus nombreux à l’envisager comme un «investissement à long terme» et plus nombreux également à rechercher dans les produits de luxe une façon d’exprimer sa personnalité à travers des créations fortes, mélanges de savoir faire et d’innovation. Au Japon, le séisme de Fukushima n’a pas modifié le jugement des Japonais sur le luxe.

Les pays matures demeurent des marchés stratégiques pour l’industrie du luxe
Aujourd’hui, dans de nombreux diagnostics portés sur l’avenir du luxe, on prend acte généralement du déclin des marchés matures comme si, désormais, l’histoire se poursuivait ailleurs, au sein des pays à forte croissance comme la Chine ou le Brésil. Le tableau des faiblesses des marchés matures est connu : maigre croissance économique enregistrée au cours de la décennie 2000-2010 (avec des exceptions bien sûr) ; montée de la pauvreté et polarisation sociale qui s’accentue entre les plus riches et les classes moyennes ; poids des dettes publiques et menaces que celles-ci font peser sur le pouvoir d’achat des consommateurs au cours des cinq prochaines années ; vieillissement de la population… Autant de facteurs laissant accroire que ces pays ne constitueront plus des fers de lance pour l’industrie du luxe.

De fait, la fameuse (et controversée) démocratisation du luxe semble avoir atteint ses limites. De plus en plus de personnes, dans les grands pays développés, déclarent que le luxe est «un monde inaccessible pour moi». Ils étaient 53% à le reconnaître en 2007. Ils sont 62% en 2011…

Pourtant, le luxe ne représenterait presque rien sans l’existence de ces marchés et de ces clientèles. Selon les estimations du BCG (Boston Consulting Group), 70% des parts de marché du luxe demeurent détenus aujourd’hui par les pays matures…

Démographiquement, ceux-ci continuent de représenter un énorme gisement de clients. Leurs populations sont souvent vieillissantes, mais, avec une espérance de vie qui ne cesse d’augmenter, de plus en plus de seniors ont le souci de leur apparence et de leur qualité de vie. Un atout pour les produits de luxe.

En réalité, pour identifier les opportunités dans ces pays, il est fondamental de mieux comprendre leur rapport au luxe. Trois pays vont nous servir de guide car ils cultivent avec le luxe une relation spécifique : l’Allemagne, les Etats-Unis et le Japon. Ce sont aussi, par la taille et le potentiel, les marchés les plus importants aujourd’hui.

Marchés matures : le luxe y est de plus en plus valorisé par les consommateurs
Avant d’aborder les différences entre ces trois marchés, il est nécessaire de souligner quelques grandes tendances convergentes, confirmées par la vague 2011 du World Luxury Tracking*.

1. En premier lieu, dans les pays matures, les consommateurs continuent d’apprécier majoritairement le luxe. La crise n’a pas modifié l’attitude positive des classes moyennes et supérieures à l’égard du luxe. Et les jeunes générations, de ce point de vue, ne dérogent pas à la règle, y compris au Japon : elles sont même plus enthousiastes dans leur évaluation des marques de luxe.
2. C’est que les valeurs du luxe sont aujourd’hui parfaitement en phase avec les aspirations hédonistes et individualistes des consommateurs sur les marchés matures. Le World Luxury Tracking montre clairement que le luxe répond de plus en plus à une volonté de se distinguer, d’exprimer un style ou une personnalité, bref à un souci de soi de plus en plus fort dans ces sociétés de l’image. En outre, c’est aussi un plaisir pour une part non négligeable des clients de luxe que d’avoir accès à des marques prestigieuses et innovantes.
3. Enfin, troisième tendance révélatrice et commune à l’ensemble des marché matures : la période récente a renforcé la valeur d’investissement associée au luxe. Il y a de plus en plus de personnes pour affirmer que le luxe correspond à de la «qualité supérieure». Déjà très élevée en 2007 (74%), cette association entre luxe et qualité supérieure atteint 77% en 2011. En outre, 52% des personnes interrogées considèrent que le luxe correspond à un «investissement à long terme», un chiffre qui a progressé de 8 points depuis 2007 sur les marchés matures.

Au-delà de ces points communs, chaque marché se distingue par des spécificités fortes. Ces particularités révèlent trois façons de vivre le luxe.

1. L’Allemagne, une culture du détail

Les Allemands se distinguent par une approche pragmatique du luxe. Plutôt tournés vers l’automobile, la haute technologie ou la décoration intérieure (secteurs dans lesquels les dépenses de luxe sont importantes), les consommateurs de luxe y sont les héritiers d’un pays à forte culture technique et industrielle. Les Allemands sont prêts à mettre le prix pour garantir cette qualité supérieure. Mais pas dans tous les domaines… Dans la mode, par exemple, la sensibilité au prix et l’attrait des promotions ainsi qu’une approche plus «casual» de l’habillement, freinent l’expansion des grandes marques. Mais les temps changent. Les dernières années ont vu un intérêt croissant pour ce domaine. Ainsi, le nombre d’Allemands à la recherche d’un «style personnel» est-il passé de 52% à 64% entre 2007 et 2011. De même, le luxe est de plus en plus considéré comme une «valeur sûre, une façon de ne pas se tromper». L’évolution est très nette : 31% le reconnaissaient en 2007. Ils sont 46% en 2011, soit une augmentation de 15 points ! L’éclaircie économique vécue outre-rhin ces deux dernières années a contribué fortement à cet enthousiasme.

Facteurs clés de succès d’une marque de luxe en Allemagne

– Innovation : 58% des Allemands associent le luxe avec «ce qui se fait de plus pointu en matière d’innovation», un chiffre en augmentation de 23 points depuis 2007 ! Il y a une appétence croissante pour les nouveautés proposées par des marques de prestige. Un désir d’investir dans des produits de qualité en phase avec les tendances de l’époque actuelle.

– Qualité supérieure : Fidèles à leur réputation, les Allemands font attention au détail. Entre 2007 et 2011, la proportion d’Allemands convaincus que le luxe garantit une «qualité supérieure» est passée de 70% à 80%. Parmi les plus aisés, des critères comme le savoir-faire ou la tradition familiale sont de plus en plus déterminants dans l’achat de produits de luxe. Porsche ou Rolex font partie en Allemagne des marques au prestige et au savoir faire incontestés.

– Services efficaces : Les Allemands apprécient qu’on leur facilite la vie en leur proposant des services efficaces. Ils utilisent de plus en plus le web pour des raisons pratiques. Parmi les services qu’ils apprécient particulièrement : la livraison à domicile, le conseil personnalisé à distance (via email ou par téléphone), etc.

– Opportunités : Dans la vie quotidienne, beaucoup d’Allemands aiment plus que tout faire de bonnes affaires. Ce qui apparaît comme un véritable sport national n’échappe pas à l’univers du luxe. Quand ils le peuvent, les Allemands prisent les magasins d’usine pour accéder aux marques de luxe à des prix plus attractifs. Ils utilisent également beaucoup le web pour comparer les prix. Ils raffolent également des séries limitées ou des «capsules» qu’un créateur réalise occasionnellement pour une enseigne de distribution (comme Karl Lagerfeld pour H&M).

2. USA, une culture du succès

Dans la culture américaine, la notion de succès individuel reste extrêmement prégnante, malgré la crise. Bien plus qu’en Allemagne ou au Japon, la croyance dans la possibilité de la réussite individuelle résiste bien aux turbulences financières. Le luxe est un des symboles de cette réussite. Il se traduit à la fois de façon matérielle, à travers un goût prononcé pour les automobiles ou la joaillerie, et immatérielle – les Américains associent beaucoup le luxe aux hôtels, aux spas, ou au voyage. Leur vision du luxe est sans complexe. Au-delà de récompenser le succès (57% des Américains attendent d’une marque de luxe qu’elle leur permette d’être «reconnus pour leur réussite»), elle doit faire plaisir. En fait, pour un Américain, le luxe est une récompense. Le plaisir qui récompense la fidélité à des valeurs, et notamment le respect de la fameuse éthique protestante du travail.

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