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Les régies publicitaires digitales doivent changer d’ADN, par Arnaud Huet, Senior manager chez Weave et Michel Juvillier, fondateur de Juvillier Conseil

Les régies publicitaires digitales doivent changer d’ADN, par Arnaud Huet, Senior manager chez Weave et Michel Juvillier, fondateur de Juvillier Conseil

Il n’échappera à personne que, malgré la crise économique qui touche le marché européen et outre-Atlantique, le marché publicitaire online continue sa progression. Les prévisions pour les années à venir demeurent encourageantes. Selon une étude Forrester réalisée en 2012, les dépenses publicitaires en ligne devraient croître de 17% chaque année aux États-Unis, et de 13% en Europe jusqu’en 2017. Les annonceurs européens devraient dépenser 7,7 milliards d’euros dans la publicité digitale en 2016 contre 4,8 milliards en 2012.

Une croissance globale du marché de la publicité digitale qui cache une réalité disparate

Cependant ces chiffres masquent une évolution des investissements différente en fonction des segments du marché publicitaire. Que ce soit sur le marché du Search (liens sponsorisés sur les moteurs de recherche), du Display (bannières et vidéos), de l’Affiliation, de l’Emailing, des comparateurs ou du mobile, les tendances ne sont absolument pas les mêmes et traduisent des changements dans les stratégies d’achat des annonceurs.

Le Display, qui a connu ces dernières années un fort ralentissement, semble s’être relancé du fait de l’émergence de la publicité vidéo, mais aussi du fait de l’arrivée des adexchanges. Ce principe de commercialisation consiste à automatiser les transactions publicitaires entre vendeurs (éditeurs et régies publicitaires) et acheteurs (annonceurs et agences de publicité spécialisées) via des technologies sophistiquées (Sell Side Platform – SSP – coté vendeurs, Demand Side Platform – DSP – coté acheteurs).

Et ce, sur le modèle du fameux Stock Exchange, qui régule le marché boursier avec le support de technologies très pointues. Ces technologies ont définitivement enterré la tradition orale («cotation à la criée») des places financières d’antan.

La sérendipité, cauchemar des publicitaires ?

Côté internautes, la navigation au hasard des découvertes autrement appelée «sérendipité» fait voler en éclat les approches structurées des parcours client et des tunnels de conversion. Elle rend plus complexes car plus court-termistes les approches prévisionnistes du comportement et plus improbables les prévisions de performance des dispositifs publicitaires. Ce comportement est accentué par la multiplicité des terminaux utilisés pour consulter des contenus (ordinateurs, tablettes, téléphones, TV et voitures connectées, bientôt les lunettes, les montres, le mobilier… et plus tard les vêtements). Tout ceci entraine une dissolution de l’audience et complique la lecture transmédia de la publicité digitale.

La nécessaire maîtrise des technologies

Un point est souvent négligé et génère un biais dans l’analyse du retour d’expérience. Face au nouveau mode de commercialisation que constituent les adexchanges, la maturité des opérateurs publicitaires et leur capacité à saisir pleinement l’opportunité qu’ils représentent est inégale. Un adexchange fait appel à un business model et à des compétences différentes de celles exigées pour commercialiser des bannières ou des vidéos via des forces commerciales. La vente des inventaires web et mobiles ne repose pas non plus sur les mêmes compétences. Les enjeux du mobile ne sont aussi pas les mêmes. Malgré la croissance des audiences mobiles, ce support n’a pas encore permis de faire émerger un modèle économique publicitaire générateur de valeur.

L’obsolescence non-programmée

Dans le même temps, l’audience fait vivre une obsolescence non-programmée aux dispositifs à la performance. En s’y habituant, l’audience érode l’impact de ces dispositifs sur leur comportement d’achat.

Les paramètres de l’habitude et d’autres facteurs exogènes aux supports numériques impliquent d’adapter les modèles de prévision de CA publicitaires en conséquence.

Contrairement à il y a encore 5 ans, le volume de l’audience ne peut plus être considéré comme un élément suffisant pour assurer une efficacité publicitaire. La volonté de sécuriser les rendements de la publicité a incité à vendre des dispositifs hyper-ciblés, voire de vendre des contacts et non plus des impressions contextualisées.

Le risque du syndrome HAL

Les technologies ont pris une place importante dans le monde de la transaction publicitaire.
Ceci nous amène à nous interroger sur les dangers du tout technologique, notamment si le marché fait le choix de la facilité et se laisse «dompter» par ces outils, sans parvenir à recomposer les séquences complexes de ces machines. Rappelons-nous de l’ordinateur central HAL qui, dans le film de Stanley Kubrick, «2001 Odyssée de l’espace», prend le dessus sur tout l’équipage qu’il est censé servir et protéger.

L’hyper-concurrence ou concurrence «multipolaire»

Au-delà de la seule dimension technologique, la multiplicité des sites visités par un internaute (près d’une centaine de sites différents par mois pour certains internautes) engendre pour les médias historiques une situation d’hyper-concurrence. Nous qualifions cette concurrence de «multipolaire» et elle présente un risque lié à l’utilisation des canaux automatisés de commercialisation. L’achat d’inventaire laissant la place à l’achat d’audience, un site média historique peut (doit !) considérer un blog spécialisé, bien documenté et tenu par un particulier comme un concurrent sérieux. Pourquoi ? Parce que la mutualisation de ce type de blogs dans des places de marché tels que les adexchanges constitue une offre très intéressante pour l’annonceur qui peut toucher sa cible à moindre coût.

Comme le montre la cartographie de l’écosystème publicitaire européen, édité par Improve Digital (voir la cartographie) la technologie a littéralement envahi le monde de la publicité digitale.

Cette surabondance technologique pose également la question de la lisibilité dans la valeur apportée par chaque fournisseur de ce type de solutions et de leur différenciation.

Non au défaut de proprioception, oui à la résilience

Il faut désormais dépasser cette étape de test des technologies et se mettre en posture de saisir les opportunités qu’elles offrent, en leur dessinant un contour qui apporte de la valeur à l’ensemble du modèle économique publicitaire. Le dessin de se contour suppose de se mouvoir en transformant son organisation et sa posture de marché.

Dans un contexte où :
– Des alliances technologiques et business se créent. Exemple : création des places de marchés «La Place Média» ou «Audience Square» par les grands groupes médias français,
– Il existe une lisibilité du marché à court terme et en mutation permanente : sur le marché des adexchanges, nous  pouvons faire un parallèle avec la Loi de Moore, symbolisée par le fait qu’une nouvelle fonctionnalité technologique en chasse une autre et peut rendre obsolète un business model ou une offre publicitaire très rapidement,
– Une visibilité du chiffre d’affaires à court terme ne permet pas de prendre le recul suffisant pour faire les choix stratégiques qui préparent le moyen et le long terme.

Cet état de faits risque d’engendrer de la part de certains acteurs du marché un défaut de «proprioception». Ce concept scientifique issu du monde médical décrit la capacité pour le corps humain de se mouvoir dans l’espace et d’anticiper les mouvements nécessaires pour y vivre, se protéger et se développer (ex : poser la main au sol de manière instinctive en cas de chute). Cultiver ce «sens caché» que notre corps maitrise et faire preuve de résilience est vital dans le domaine de la publicité on-line.

Adopter une posture de business développement

Il devient impératif de dessiner une stratégie commerciale qui combine l’ensemble des leviers de monétisation, tels que le branding, les opérations spéciales, la performance, les partenariats de distribution de contenu, le placement de produits, le partage de revenus via des shopping box, ou encore la commercialisation d’assets.

La publicité doit s’intégrer à un modèle actionnant tous les leviers de la monétisation. La «Régie Publicitaire» doit évoluer vers un rôle de «partenaire du business développement» des éditeurs.

Les étapes de la mutation

Il s’agit pour cela de se préparer :
– Réinventer les offres et les modèles économiques qui les accompagnent
– Challenger les «partenaires technologiques» et les «partenaires business» potentiels
– Redimensionner les organisations commerciales
– Réinventer ou revaloriser les métiers de la publicité

Il devient souvent nécessaire d’être accompagné par un tiers de confiance qui aidera à obtenir le recul suffisant et à faire le travail de remise en question nécessaire au développement futur de l’organisation. Ceci peut être réalisé en mixant analyse,  prospective, innovation et une bonne dose d’impertinence constructive… pour de nouveau séduire et ne plus subir.

Un article cosigné par Arnaud Huet, Senior manager chez Weave et Michel Juvillier, fondateur de Juvillier Conseil (voir archive).

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